Les Lettres de mon moulin d' Alphonse Daudet
L' Arlésienne
Ce soir-là, maître Estève et son fils s'en allèrent ensemble dans les champs. Ils restèrent longtemps dehors; quand ils revinrent, la mère les attendait encore.
"Femme, dit le ménager en lui amenant son fils, embrasse-le! Il est malheureux."
Jan ne parla plus de l' Arlésienne. Il l'aimait toujours cependant, et même plus que jamais depuis qu'on la lui avait montrée dans les bras d'un autre. Seulement il était trop fier pour rien dire; c'est ce qui le tua, le pauvre enfant!... Quelquefois il passait des journées entières seul dans un coin, sans bouger. D'autres jours, il se mettait à la terre avec rage et abattait à lui seul le travail de dix journaliers... Le soir venu, il prenait la route d' Arles et marchait devant lui jusqu'à ce qu'il vît monter dans le couchant les clochers grêles de la ville. Alors il revenait. Jamais il n'alla plus loin.
De le voir ainsi, toujours triste et seul, les gens du mas ne savaient plus que faire. On redoutait un malheur... Une fois, à table, sa mère, en le regardant avec des yeux pleins de larmes, lui dit:
"Eh bien, écoute, Jan, si tu la veux tout de même, nous te la donnerons..."
Le père, rouge de honte, baissa la tête.
Jan fit signe que non, et il sortit.
L' Arlésienne
Ce soir-là, maître Estève et son fils s'en allèrent ensemble dans les champs. Ils restèrent longtemps dehors; quand ils revinrent, la mère les attendait encore.
"Femme, dit le ménager en lui amenant son fils, embrasse-le! Il est malheureux."
Jan ne parla plus de l' Arlésienne. Il l'aimait toujours cependant, et même plus que jamais depuis qu'on la lui avait montrée dans les bras d'un autre. Seulement il était trop fier pour rien dire; c'est ce qui le tua, le pauvre enfant!... Quelquefois il passait des journées entières seul dans un coin, sans bouger. D'autres jours, il se mettait à la terre avec rage et abattait à lui seul le travail de dix journaliers... Le soir venu, il prenait la route d' Arles et marchait devant lui jusqu'à ce qu'il vît monter dans le couchant les clochers grêles de la ville. Alors il revenait. Jamais il n'alla plus loin.
De le voir ainsi, toujours triste et seul, les gens du mas ne savaient plus que faire. On redoutait un malheur... Une fois, à table, sa mère, en le regardant avec des yeux pleins de larmes, lui dit:
"Eh bien, écoute, Jan, si tu la veux tout de même, nous te la donnerons..."
Le père, rouge de honte, baissa la tête.
Jan fit signe que non, et il sortit.