Les lettres de mon moulin d' Alphonse Daudet
Les douaniers
Le bateau l' Emilie, de Porto-Vecchio, à bord duquel j'ai fait ce lugubre voyage aux îles Lavezzi, était une vieille embarcation de la douane, à demi pontée, où l'on n'avait pour s'abriter du vent, des lames, de la pluie, qu'un petit rouf goudronné, à peine assez large pour tenir une table et deux couchettes. Aussi il fallait voir nos matelots par le gros temps. Les figures ruisselaient, les vareuses trempées fumaient comme du linge à l'étuve, et en plein hiver les malheureux passaient ainsi des journées entières, même des nuits, accroupis sur leurs bancs mouillés, à grelotter dans cette humidité malsaine; car on ne pouvait pas allumer de feu à bord, et la rive était souvent difficile à atteindre... Eh bien, pas un de ces hommes ne se plaignait. Par les temps les plus rudes, je leur ai toujours vu la même placidité, la même bonne humeur. Et pourtant, quelle triste vie que celle de ces matelots douaniers!
Presque tous mariés, ayant femme et enfants à terre, ils restent des mois dehors, à louvoyer sur ces côtes si dangereuses. Pour se nourrir, ils n'ont guère que du pain moisi et des oignons sauvages. Jamais de vin, jamais de viande, parce que la viande et le vin coûtent cher et qu'ils ne gagnent que cinq cents francs par an! vous pensez si la hutte doit être noire là-bas à la marine, et si les enfants doivent aller pieds nus!...
Ce récit parut dans Le Bien Public du 11 février 1873; Il correspond aux souvenirs d'un voyage réellement effectué sur le bateau de douaniers Corses, Plus tard, ce séjour en mer soulevait encore, chez Daudet, un enthousiasme que Goncourt a rapporté dans son Journal (25 Juillet 1890)
rouf=abri sur le pont supérieur d'un bateau
marine= port, partie côtière
Les douaniers
Le bateau l' Emilie, de Porto-Vecchio, à bord duquel j'ai fait ce lugubre voyage aux îles Lavezzi, était une vieille embarcation de la douane, à demi pontée, où l'on n'avait pour s'abriter du vent, des lames, de la pluie, qu'un petit rouf goudronné, à peine assez large pour tenir une table et deux couchettes. Aussi il fallait voir nos matelots par le gros temps. Les figures ruisselaient, les vareuses trempées fumaient comme du linge à l'étuve, et en plein hiver les malheureux passaient ainsi des journées entières, même des nuits, accroupis sur leurs bancs mouillés, à grelotter dans cette humidité malsaine; car on ne pouvait pas allumer de feu à bord, et la rive était souvent difficile à atteindre... Eh bien, pas un de ces hommes ne se plaignait. Par les temps les plus rudes, je leur ai toujours vu la même placidité, la même bonne humeur. Et pourtant, quelle triste vie que celle de ces matelots douaniers!
Presque tous mariés, ayant femme et enfants à terre, ils restent des mois dehors, à louvoyer sur ces côtes si dangereuses. Pour se nourrir, ils n'ont guère que du pain moisi et des oignons sauvages. Jamais de vin, jamais de viande, parce que la viande et le vin coûtent cher et qu'ils ne gagnent que cinq cents francs par an! vous pensez si la hutte doit être noire là-bas à la marine, et si les enfants doivent aller pieds nus!...
Ce récit parut dans Le Bien Public du 11 février 1873; Il correspond aux souvenirs d'un voyage réellement effectué sur le bateau de douaniers Corses, Plus tard, ce séjour en mer soulevait encore, chez Daudet, un enthousiasme que Goncourt a rapporté dans son Journal (25 Juillet 1890)
rouf=abri sur le pont supérieur d'un bateau
marine= port, partie côtière
Dernière édition par Yves le Mer 6 Sep - 3:05, édité 2 fois