La neige en deuil d' Henri Troyat
Chapitre 6
Instinctivement, Isaïe tourna son regard vers le bas. A la limite de ses chaussures, la plate-forme se brisait à pic, et une perspective plongeante découvrait, cent mètres au-dessous de lui, la gueule béante de la rimaye. Le temps d'un éclair, il imagina un faux pas, son corps basculant dans le vide. Un grand choc lui cassait la colonne vertébrale. Un autre lui fendait le crâne. Des éperons rocheux se renvoyaient un paquet de viande battue jusqu'à l'arrêt final, au fond de la crevasse. Par le jeu d'un dédoublement étrange, il se voyait, à la fois, debout en cet endroit qu'il avait choisi et disloqué, dans une flaque de sang, au pied de la montagne.
-Tu es prêt? Je monte?
La voix de Marcellin. Il fallait agir. Isaïe passa la corde sous son aisselle gauche et sur son épaule droite, banda les muscles de son dos et dit:
-Monte.
Ses mains halaient le chanvre, lentement, pour aider la progression de son frère. Déjà, il entendait la respirations oppressée de Marcellin et le grincement de ses souliers sur le granit. Le chanvre bougeait, le poids approchait de la surface. Des doigts d'aveugle palpèrent le bord de la vire. Le visage de Marcellin se haussa, congestionné par l'effort, puis se détourna, disparut, parce que le grimpeur avait changé la prise de ses mains.
Chapitre 6
Instinctivement, Isaïe tourna son regard vers le bas. A la limite de ses chaussures, la plate-forme se brisait à pic, et une perspective plongeante découvrait, cent mètres au-dessous de lui, la gueule béante de la rimaye. Le temps d'un éclair, il imagina un faux pas, son corps basculant dans le vide. Un grand choc lui cassait la colonne vertébrale. Un autre lui fendait le crâne. Des éperons rocheux se renvoyaient un paquet de viande battue jusqu'à l'arrêt final, au fond de la crevasse. Par le jeu d'un dédoublement étrange, il se voyait, à la fois, debout en cet endroit qu'il avait choisi et disloqué, dans une flaque de sang, au pied de la montagne.
-Tu es prêt? Je monte?
La voix de Marcellin. Il fallait agir. Isaïe passa la corde sous son aisselle gauche et sur son épaule droite, banda les muscles de son dos et dit:
-Monte.
Ses mains halaient le chanvre, lentement, pour aider la progression de son frère. Déjà, il entendait la respirations oppressée de Marcellin et le grincement de ses souliers sur le granit. Le chanvre bougeait, le poids approchait de la surface. Des doigts d'aveugle palpèrent le bord de la vire. Le visage de Marcellin se haussa, congestionné par l'effort, puis se détourna, disparut, parce que le grimpeur avait changé la prise de ses mains.