Voici la suite des Lettres de mon moulin d' Alphonse Daudet
Le secret de maître Cornille
Alors, de mâle rage, le vieux s'enferma dans son moulin et vécut tout seul comme une bête farouche. Il ne voulut même pas garder près de lui sa petite-fille Vivette, une enfant de quinze ans, qui, depuis la mort de ses parents, n'avait plus que son grand au monde. La pauvre petite fut obligée de gagner sa vie et de se louer un peu partout dans les mas, pour la moisson, les magnans ou les olivades. Et pourtant son grand-père avait l'air de bien l'aimer, cette enfant-là. Il lui arrivait souvent de faire ses quatre lieues par le grand soleil pour aller la voir au mas où elle travaillait, et quand il était près d'elle, il passait des heures entières à la regarder en pleurant...
Dans le pays on pensait que le vieux meunier, en renvoyant Vivette, avait agi par avarice; et cela ne lui faisait pas honneur de laisser sa petite-fille ainsi traîner d'une ferme à l'autre, exposée aux brutalités des baïles et à toutes les misères des jeunesses en condition. On trouvait très mal aussi qu'un homme du renom de maître Cornille, et qui, jusque-là, s' était respecté, s'en allât maintenant par les rues comme un vrai bohémien, pieds nus, le bonnet troué, la taillole en lambeaux... Le fait est que le dimanche, lorsque nous le voyions entrer à la messe, nous avions honte pour lui, nous aussi les vieux; et Cornille le sentait si bien qu'il n'osait plus venir s'asseoir sur le banc d'oeuvre. Toujours il restait au fond de l'église, près du bénitier, avec les pauvres.
En provençal," baïle" désigne le premier valet ou le régisseur d'une ferme.
Les" magnans" désignent les vers à soie et les "olivades" la cueillette des olives.
grand=dialectal pour désigner le grand-père
"être en condition" signifie, à l'époque, être employé comme domestique, spécialement en parlant des femmes.
taillole= ceinture de laine avec laquelle les hommes serrent leur pantalon.
banc d'oeuvre=banc ouvragé d'église, réservé aux notables de la paroisse
Le secret de maître Cornille
Alors, de mâle rage, le vieux s'enferma dans son moulin et vécut tout seul comme une bête farouche. Il ne voulut même pas garder près de lui sa petite-fille Vivette, une enfant de quinze ans, qui, depuis la mort de ses parents, n'avait plus que son grand au monde. La pauvre petite fut obligée de gagner sa vie et de se louer un peu partout dans les mas, pour la moisson, les magnans ou les olivades. Et pourtant son grand-père avait l'air de bien l'aimer, cette enfant-là. Il lui arrivait souvent de faire ses quatre lieues par le grand soleil pour aller la voir au mas où elle travaillait, et quand il était près d'elle, il passait des heures entières à la regarder en pleurant...
Dans le pays on pensait que le vieux meunier, en renvoyant Vivette, avait agi par avarice; et cela ne lui faisait pas honneur de laisser sa petite-fille ainsi traîner d'une ferme à l'autre, exposée aux brutalités des baïles et à toutes les misères des jeunesses en condition. On trouvait très mal aussi qu'un homme du renom de maître Cornille, et qui, jusque-là, s' était respecté, s'en allât maintenant par les rues comme un vrai bohémien, pieds nus, le bonnet troué, la taillole en lambeaux... Le fait est que le dimanche, lorsque nous le voyions entrer à la messe, nous avions honte pour lui, nous aussi les vieux; et Cornille le sentait si bien qu'il n'osait plus venir s'asseoir sur le banc d'oeuvre. Toujours il restait au fond de l'église, près du bénitier, avec les pauvres.
En provençal," baïle" désigne le premier valet ou le régisseur d'une ferme.
Les" magnans" désignent les vers à soie et les "olivades" la cueillette des olives.
grand=dialectal pour désigner le grand-père
"être en condition" signifie, à l'époque, être employé comme domestique, spécialement en parlant des femmes.
taillole= ceinture de laine avec laquelle les hommes serrent leur pantalon.
banc d'oeuvre=banc ouvragé d'église, réservé aux notables de la paroisse
Dernière édition par Yves le Jeu 23 Mar - 1:35, édité 2 fois