Les Lettres de mon moulin d' Alphonse Daudet
Le phare des Sanguinaires
"C'était pitié de leur abandonner ce chrétien. Alors je songeai à le descendre dans une des logettes du lazaret... Ca me prit tout un après-midi, cette corvée-là, et je vous réponds qu'il m'en fallut du courage. Tenez! monsieur, encore aujourd'hui, quand je descends ce côté de l'île par un après-midi de grand vent, il me semble que j'ai toujours le mort sur les épaules..."
Pauvre vieux Bartoli! La sueur lui en coulait sur le front, rien que d'y penser.
Nos repas se passaient ainsi à causer longuement; le phare, la mer, des récits de naufrages, des histoires de bandits corses... Puis, le jour tombant, le gardien du premier quart allumait sa petite lampe, prenait sa pipe, sa gourde, un gros Plutarque à tranche rouge, toute la bibliothèque des Sanguinaires, et disparaissait par le fond. Au bout d'un moment, c'était dans tout le phare un fracas de chaînes, de poulies, de gros poids d'horloges qu'on remontait.
Mais pendant ce temps, j'allais m'asseoir dehors sur la terrasse. Le soleil, déjà très bas, descendait vers l'eau de plus en plus vite, entraînant tout l'horizon après lui. Le vent fraîchissait, l'île devenait violette. Dans le ciel, près de moi, un gros oiseau passait lourdement: c'était l'aigle de la tour génoise qui rentrait...
On sait depuis Molière (Les Femmes Savantes, II,7) que Les Vies de Plutarque constituaient le fonds des bibliothèques familiales. Daudet avait été frappé par la présence de cet unique livre dans le phare des Sanguinaires; il en parlait encore, près de vingt-cinq ans plus tard, à Goncourt, qui le note dans son Journal. (1er Août 1894)
Le phare des Sanguinaires
"C'était pitié de leur abandonner ce chrétien. Alors je songeai à le descendre dans une des logettes du lazaret... Ca me prit tout un après-midi, cette corvée-là, et je vous réponds qu'il m'en fallut du courage. Tenez! monsieur, encore aujourd'hui, quand je descends ce côté de l'île par un après-midi de grand vent, il me semble que j'ai toujours le mort sur les épaules..."
Pauvre vieux Bartoli! La sueur lui en coulait sur le front, rien que d'y penser.
Nos repas se passaient ainsi à causer longuement; le phare, la mer, des récits de naufrages, des histoires de bandits corses... Puis, le jour tombant, le gardien du premier quart allumait sa petite lampe, prenait sa pipe, sa gourde, un gros Plutarque à tranche rouge, toute la bibliothèque des Sanguinaires, et disparaissait par le fond. Au bout d'un moment, c'était dans tout le phare un fracas de chaînes, de poulies, de gros poids d'horloges qu'on remontait.
Mais pendant ce temps, j'allais m'asseoir dehors sur la terrasse. Le soleil, déjà très bas, descendait vers l'eau de plus en plus vite, entraînant tout l'horizon après lui. Le vent fraîchissait, l'île devenait violette. Dans le ciel, près de moi, un gros oiseau passait lourdement: c'était l'aigle de la tour génoise qui rentrait...
On sait depuis Molière (Les Femmes Savantes, II,7) que Les Vies de Plutarque constituaient le fonds des bibliothèques familiales. Daudet avait été frappé par la présence de cet unique livre dans le phare des Sanguinaires; il en parlait encore, près de vingt-cinq ans plus tard, à Goncourt, qui le note dans son Journal. (1er Août 1894)
Dernière édition par Yves le Jeu 10 Aoû - 0:13, édité 1 fois