Les Lettres de mon moulin d' Alphonse Daudet
Le phare des Sanguinaires
Là-haut, c'était charmant. Je vois encore cette belle salle à manger à larges dalles, à lambris de chêne, la bouillabaisse fumant au milieu, la porte grande ouverte sur la terrasse blanche et tout le couchant qui entrait... Les gardiens étaient là, m'attendant pour se mettre à able. Il y en avait trois, un Marseillais et deux Corses, tous trois petits, barbus, le même visage tanné, crevassé, le même pelone en poil de chèvre, mais d'allure et d'humeur entièrement opposées.
A la façon de vivre de ces gens, on sentait tout de suite la différence des deux races. Le Marseillais, industrieux et vif, toujours affairé, toujours en mouvement, courait l'île du matin au soir, jardinant, pêchant, ramassant des oeufs de gouailles, s'embusquant dans le maquis pour traire une chèvre au passage; et toujours quelque aïoli ou quelque bouillabaisse en train.
Les Corses, eux, en dehors de leur service, ne s'occupaient absolument de rien; ils se considéraient comme des fonctionnaires, et passaient toutes leurs journées dans la cuisine à jouer d'interminables parties de scopa, ne s'interrompant que pour rallumer leurs pipes d'un air grave et hacher avec des ciseaux, dans le creux de leurs mains, de grandes feuilles de tabac vert.
pelone=caban
gouailles=sortes de goélands
scopa=jeu de cartes, d'origine italienne, qui peut se pratiquer à quatre et dont les règles sont peu compliquées.
Le phare des Sanguinaires
Là-haut, c'était charmant. Je vois encore cette belle salle à manger à larges dalles, à lambris de chêne, la bouillabaisse fumant au milieu, la porte grande ouverte sur la terrasse blanche et tout le couchant qui entrait... Les gardiens étaient là, m'attendant pour se mettre à able. Il y en avait trois, un Marseillais et deux Corses, tous trois petits, barbus, le même visage tanné, crevassé, le même pelone en poil de chèvre, mais d'allure et d'humeur entièrement opposées.
A la façon de vivre de ces gens, on sentait tout de suite la différence des deux races. Le Marseillais, industrieux et vif, toujours affairé, toujours en mouvement, courait l'île du matin au soir, jardinant, pêchant, ramassant des oeufs de gouailles, s'embusquant dans le maquis pour traire une chèvre au passage; et toujours quelque aïoli ou quelque bouillabaisse en train.
Les Corses, eux, en dehors de leur service, ne s'occupaient absolument de rien; ils se considéraient comme des fonctionnaires, et passaient toutes leurs journées dans la cuisine à jouer d'interminables parties de scopa, ne s'interrompant que pour rallumer leurs pipes d'un air grave et hacher avec des ciseaux, dans le creux de leurs mains, de grandes feuilles de tabac vert.
pelone=caban
gouailles=sortes de goélands
scopa=jeu de cartes, d'origine italienne, qui peut se pratiquer à quatre et dont les règles sont peu compliquées.